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Assurance vie et prime manifestement exagérée, par Frédéric Douet


Fin 2022, les encours des contrats d’assurance vie s’élevaient à 1 842 milliards d’euros. Outre un régime fiscal somme toute encore avantageux, ce succès s’explique également par des considérations d’ordre civil. En principe, les sommes versées par le contractant d’un contrat d’assurance vie en cas de décès à titre de primes échappent aux règles du rapport à succession et à celles de la réduction pour atteinte à la réserve (C. assur., art. L. 132-13, al. 2). En d’autres termes, le capital perçu par le bénéficiaire du contrat après le décès du souscripteur-assuré se trouve hors succession. Le bénéficiaire n’a pas à le rapporter à la succession du souscripteur-assuré et le capital n’est pas pris en compte pour apprécier une éventuelle atteinte à la réserve. Le recours à l’assurance vie permet donc de cour-circuiter cette dernière. Par exception, il en va autrement lorsque le montant de la prime est manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur. Dans ce cas de figure, l’intégralité de la prime est soumise aux règles du rapport et de la réduction et non simplement sa fraction regardée comme exagérée. En pratique, il est relativement fréquent que les héritiers du souscripteur découvrent que celui-ci a souscrit un ou plusieurs contrats d’assurance vie au profit de certains d’entre eux ou de tiers. La tentation est alors grande d’invoquer le caractère manifestement exagéré des sommes versées dans l’espoir de leur faire intégrer la succession du souscripteur. Toutefois, il faut savoir raison garder car l’examen de la jurisprudence apprend qu’il est relativement rare que le juge accueille favorablement une telle demande. Toute la difficulté consiste à déterminer ce qu’est ou non une prime manifestement exagérée. L’emploi de l’adverbe manifestement renvoie à l’idée qu’il s’agit d’une prime qui lors de son versement outrepasse largement les facultés du souscripteur. La tendance actuelle semble de comparer le montant de la prime par rapport à ses revenus. Suivant ce raisonnement une prime est manifestement excessive lorsqu’elle excède les revenus du souscripteur. En premier lieu tel est le cas en présence de deux contrats d’assurance vie souscrits par une femme âgée de plus de 90 ans alimentés par des fonds dont elle avait hérités. La prime a été jugée manifestement exagérée dans la mesure où elle aurait permis à la souscriptrice de subvenir à ses besoins sans solliciter une allocation complémentaire auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CA Versailles, 12 janv. 2023, n° 21/03554). En deuxième lieu tel est également le cas d’une prime unique de 192 000 € versée par une femme âgée de 91 ans percevant une pension de retraite de 1 144 € par mois et disposant de droits immobiliers évalués 64 576 € et de 27 195 € de liquidités (CA Bordeaux, 17 janv. 2023, n° 20/02047). En troisième lieu, la même solution a été retenue à l’égard d’une prime qui représentait plus de deux ans et demi des ressources du souscripteur et plus d’un tiers de son patrimoine, en l’occurrence une prime de 16 400 € versée par une personne disposant uniquement d’une pension d’invalidité d’environ 950 € par mois (CA Rennes, 15 févr. 2023, n° 19/07586). En quatrième et dernier lieu, la cour d’appel de Paris a suivi le même raisonnement à l’égard d’une souscriptrice ayant versé des primes mensuelles supérieures à ses revenus déclarés (CA Paris, 10 mars 2023, n° 19/07114). Il faut souligner que de telles décisions sont relativement exceptionnelles. Il est possible de soutenir qu’une prime n’est pas manifestement exagérée dès lors qu’elle n’a pas d’incidence sur le train de vie du souscripteur (exemple : personne versant une prime correspondant à sa capacité d’épargne) ou que des raisons d’ordre fiscal permettent de l’expliquer (exemple : chef d’entreprise ayant vendu son entreprise à l’occasion de son départ en retraite et versant le prix de vente sur un contrat d’assurance vie souscrit il y a plus de huit ans afin de bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse que celle qui aurait été appliquée s’il avait fait le choix d’investir dans l’immobilier).


Frédéric DOUET, professeur à l’Université Rouen-Normandie, membre du Conseil des prélèvements obligatoires (@Fiscalitor)

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