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Ordonnance réformant les sociétés des professions libérales réglementées

1. Prise sur habilitation de la loi du 14 février 2022 réformant le statut de l’entrepreneur individuel, l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023, relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées (JO 9 février 2023) abroge, dans un but de simplification, de clarification et d’harmonisation, la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 sur les SCP et la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 sur les SEL afin de prévoir, dans un seul texte unique, toutes les dispositions applicables aux sociétés des professions libérales réglementées (« PLR »), qui « groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité ayant pour objet d'assurer, dans l'intérêt du client, du patient et du public, des prestations mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées » (Ord. art. 1er, al. 1er). « Ces professions sont soumises à un statut législatif ou réglementaire ou leur titre est protégé » (Ord. art. 1er, al. 2). « Elles sont tenues, quel que soit le mode d'exercice de leur profession et conformément aux textes qui régissent son accès et son exercice, au respect de principes éthiques ou d'une déontologie professionnelle susceptibles d'être sanctionnés par l'autorité compétente en matière disciplinaire » (Ord. art. 1er, al. 3). L’ordonnance classe les PLR en trois familles : professions de santé, professions juridiques ou judiciaires, professions techniques et du cadre de vie (Ord. art. 2). Elle définit le professionnel exerçant comme la personne physique ayant qualité pour exercer sa profession ou son ministère, enregistrée en France conformément aux textes qui réglementent la profession, et qui réalise de façon indépendante des actes relevant de sa profession ou de son ministère (Ord. art. 3). Elle définit également la personne européenne comme « la personne physique ou morale établie dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, dans un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse et qui exerce, dans l'un de ces Etats, une activité présentant les caractéristiques d'une profession libérale réglementée au sens de l'article 1er (Ord. art. 4).


2. Après les dispositions applicables à toutes les sociétés de PLR, l’ordonnance prévoit des mesures applicables aux sociétés civiles (SCP, SEP, SCM et coopératives). La principale nouveauté est la possibilité d’avoir des associés personnes morales dans une SEP, dite « SEPPL » pour société en participation de professions libérales. Cette forme sociale pourrait, pour la profession d’avocat, offrir une alternative intéressante à l’AARPI.


3. C’est sans doute en matière de Sociétés d’exercice libéral (SEL) que se trouvent les principales modifications, avec des dispositions applicables à toutes les SEL et des dispositions applicables par famille de professionnels. D’abord, les sociétés de droit commun (SDC) ne sont plus possibles, seule la SEL l’est ; cependant, les professions du droit uniquement conserveront la possibilité de ne pas appliquer les dispositions de la SEL exclusivement dans leur dénomination sociale (Ord. art. 132 qui permet de déroger à l’art. 41, al. 1er). Ensuite, une fois par an, la société devra adresser à l'autorité compétente en matière d'agrément ou d'inscription à l'ordre professionnel dont elle relève un état de la composition de son capital social et des droits de vote afférents, ainsi qu'une version à jour de ses statuts. Seront également adressées par les associés les conventions contenant des clauses portant sur l'organisation et les pouvoirs des organes de direction, d'administration ou de surveillance ayant fait l'objet d'une modification au cours de l'exercice écoulé. Actuellement, seule doit être communiquée la composition du capital. La mesure sera également applicable aux SPE et aux SPFPL. En outre, dans la SEL, au moins un professionnel exerçant (PE) au sein de la société en est associé, étant rappelé qu’il s’agit désormais exclusivement d’une personne physique, mais selon l’article 40 de l’ordonnance, il peut être associé directement ou par l'intermédiaire d'une SPFPL. La SEL paraît donc à présent pouvoir être détenue à 100% par une SPFPL (sauf texte particulier dérogatoire). De plus, dans la SEL, le PE est en principe majoritaire en capital et droits de vote. Pour le complément, il n’y a pas de changement, si ce n’est que désormais ce complément peut être détenu par des personnes exerçant une profession libérale réglementée de la même famille que celle mentionnée dans l'objet social (sauf disposition contraire prévue par décret). En outre, les dérogations que l’on connaît au sein de toutes les familles de profession s’agissant du capital et droits de vote restent en vigueur au sein de toutes les familles. Par ailleurs, la dépatrimonialisation de la clientèle ou patientèle reste possible. Et, importante nouveauté, il est possible de stipuler un droit de retrait dans les statuts, même si ce n’est pas prévu par les lois et règlements particuliers à chaque profession. Enfin, s’agissant de la gouvernance : le dirigeant est obligatoirement un PE (nécessairement à présent personne physique), avec toutefois une dérogation pour les professions du droit lorsque le capital et les droits de vote sont détenus par une profession du droit autre que celle visée dans l’objet social (voir également Ord. art. 130 spécifique aux experts-comptables). Toujours dans la gouvernance, au sein des professions techniques, on retrouve la même dérogation, sauf pour les vétérinaires.


4. La Société pluriprofessionnelle d’exercice (SPE) est une SEL (même si, selon l’ordonnance, elle peut revêtir toute forme sociale, à l'exception – classique – des formes qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçants). Les géomètres-experts font leur entrée dans la SPE et la SPFPL pluriprofessionnelle. Pour l'exercice des professions constituant son objet social, la SPE pourra mettre en commun des moyens matériels, notamment immobiliers. Comme pour la SEL et la SPFPL, une fois par an, la SPE devra adresser à l'autorité de tutelle, outre la composition de son capital social, les droits de vote y afférents, ainsi qu'une version à jour de ses statuts. Seront également adressées les conventions portant sur la gouvernance.


5. Les Société de participations financières de professions libérales (SPFPL) auront toujours pour objet la détention de parts ou d'actions de sociétés d'exercice et de groupements de droit étranger, ayant eux-mêmes pour objet l'exercice d'une ou plusieurs professions libérales réglementées. Il n’y a pas de changement. Cela étant, les SPFPL pourront détenir, gérer et administrer tous biens et droits immobiliers et fournir des prestations de services, sous réserve que ces activités soient destinées exclusivement au fonctionnement des sociétés ou groupements dans lesquels elles détiennent des participations. Sous cette réserve, elles pourront notamment détenir des parts sociales ou actions de toute société à forme civile ou commerciale aux seules fins d'acquérir et d'administrer des immeubles. Les prestations de services sont déjà autorisées par le régime actuel, mais la détention et la gestion de biens et droits immobiliers constituent une avancée indiscutable. Au demeurant, le rapport au président de la République indique qu’il sera désormais possible aux professions juridiques et judiciaires, en cas d'ouverture par décret, de loger sous une SPFPL, une société commerciale exerçant exclusivement des activités accessoires autorisées à la profession concernée (Ord. art. 110, al. 6 : « Des décrets en Conseil d'Etat peuvent prévoir que les sociétés de participations financières de professions libérales de certaines professions juridiques et judiciaires peuvent également détenir des parts ou actions de sociétés commerciales, sous réserve que l'objet de ces dernières soit la réalisation de toute activité que les professionnels détenant la société de participations financières libérales sont autorisés à exercer conformément aux règles applicables à chacune des professions ».). Pour les SPFPL des professionnels du droit, les dérogations relatives à la gouvernance et à la détention du capital et droits de vote seront maintenues lorsqu’elles ont pour objet de prendre des participations dans une ou plusieurs sociétés exerçant une même profession juridique ou judiciaire. Il en va de même pour les SPFPL pluriprofessionnelles. Quoi qu’il en soit, le mécanisme sanctionnant le non-respect des conditions de composition du capital en société d'exercice sera étendu aux SPFPL et aux SPE. Enfin, une nouvelle disposition relative à la survivance des holdings est introduite afin d'éviter aux professionnels des dissolutions non voulues en cas de transmission d'une SEL unique détenue par une SPFPL (Ord. art. 110, al. 3 : « Dans l'hypothèse où leur objet viendrait à ne plus être rempli, ces sociétés disposent d'un délai fixé par décret pour se remettre en conformité avec cet objet, sous peine de dissolution. »).


6. L’ordonnance entre en vigueur le 1er septembre 2024, sauf l’article 130, relatif aux sociétés d’experts-comptables, qui entre en vigueur le lendemain de la publication de l’ordonnance au JO (soit le 10 février 2023).


7. Les sociétés concernées disposent d’un délai d’un an à compter du 1er septembre 2024, soit le 1er septembre 2025 au plus tard, pour se mettre en conformité avec les modifications opérées par l’ordonnance. Les sociétés concernées par la mise en conformité sont, à lire l’article 134, toutes les SEL (qui visent au premier chef les professions de santé), avec cependant des particularités concernant les conseils en propriété industrielle, les vétérinaires et les experts-comptables. Pour les SDC de professions du droit, seul l’article 44 de l’ordonnance, relatif à la communication aux instances de la composition du capital, des droits de vote, des statuts à jour et des conventions organisant la gouvernance, entre en vigueur le 1er septembre 2024.


8. On retiendra en particulier que pour les professions juridiques et judiciaires, les sociétés de droit commun ne seront plus possibles. Par exception, et seulement pour ces professions, pourra être conservée la dénomination sociale des SDC. Cette exception n’est qu’un leurre qui crée une fausse apparence, laissant croire aux professions du droit que les SDC seront encore possibles alors que tel n’est pas le cas. Seules les professions techniques et du cadre de vie, et quelques professions de santé, pourront toujours exercer sous forme de SDC.


Bastien BRIGNON

Maître de conférences HDR à Aix-Marseille université

Directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés

Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence


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