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L’usufruitier de droits sociaux


par Gérard Romain, avocat au Barreau de Grasse, conseil en droit des sociétés et conseil fiscal.


Suivant avis en date du 1er décembre 2021, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation s’est prononcée, pour la première fois, sur la question de savoir si l'usufruitier de parts sociales a, ou non, la qualité d'associé.


  1. L'usufruitier des parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé.

  2. L’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés, en application de l’article 39 du décret du 3 Juillet 1978, si cette délibération est susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales

  3. L’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés ayant pour objet la révocation du gérant et la nomination de co-gérants, en application de l’article 39 du décret du 3 Juillet 1978, si cette délibération est susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales.


De fait, jusqu’à l’avis précité, la qualité ou non d’associé de l’usufruitier n’était réglée ni par le droit positif ni par la jurisprudence.


La doctrine pour sa part a toujours été divisée sur cette question.


Les partisans de la thèse moniste (seul le nu-propriétaire possède la qualité d'associé), thèse soutenue par le Professeur Alain VIANDIER (A. Viandier, La notion d’associé, préf. F. Terré, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1978) se fondent sur l’absence d’apport de l’usufruitier et sur le Droit des Biens notamment l’article 578 du Code Civil.


D’autres, parmi lesquels le Professeur Jean DERRUPPE, le Professeur Maurice COZIAN reconnaissent à l’usufruitier la qualité d’associé, tant du fait de l’apport (en nature ou en numéraire) qu'il a effectué qu'au regard du droit des sociétés, et notamment l’article 1832 du Code Civil.


Réjouissons nous du fait que la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire prenne enfin position sur cette vieille querelle doctrinale.


Pour autant, la motivation de l’avis émis par la chambre commerciale de la Cour de Cassation nous paraît discutable à plus d’un titre.


1. L'usufruitier des parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé


Cet avis se fonde exclusivement sur l’article 578 du Code Civil (issu de la Loi 1804-01-30 promulguée le 9 février 1804), lequel stipule ce qui suit littéralement retranscrit :


L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.


Rappelons que la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation est spécialiste du Droit des Sociétés.


Il est, de ce fait, étonnant que la chambre commerciale privilégie le Droit des Biens plutôt que le Droit des Sociétés.


Pour apprécier la qualité d’associé d’une société civile ou commerciale, ne serait-il pas raisonnable de se référer aux critères distinctifs de la qualité d’associé donnée par le Droit des Sociétés, savoir l’article 1832 du Code Civil, lequel stipule ce qui suit littéralement retranscrit :


  • La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.

  • Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne.

  • Les associés s'engagent à contribuer aux pertes.

La motivation de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation paraît bien sommaire dans la mesure où le Droit des Sociétés est laissé pour compte.


Au cas d’espèce, il s’agissait moins de savoir quelles sont les prérogatives de l’usufruitier de droits sociaux au regard du Droit des Biens que d’analyser sa qualité ou non d'associé au regard du Droit des Sociétés.


Force est de constater que l’avis de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation ne répond que partiellement à la question posée.


2. L’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés, en application de l’article 39 du décret du 3 Juillet 1978, si cette délibération est susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales


L’article 39 du décret du 3 Juillet 1978 dispose ce qui suit littéralement retranscrit :


Un associé non gérant peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée.


Rappelons qu’aux termes du 1. du dispositif cité ci-dessus il est dit pour Droit que « L'usufruitier des parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé ».


Quelle n’est pas la surprise du juriste béotien de découvrir que ce qui est affirmé au dispositif 1. n’est plus vrai au dispositif 2.


Voilà donc l’usufruitier devenu « associé » pour les besoins de la cause.


Doit-on comprendre à la lecture de cet avis que la Cour de Cassation serait tentée d’ajouter à la loi ?


Loin de nous cette idée saugrenue. Peut être alors doit-on comprendre que le titulaire de l’usufruit de droits sociaux est plus ou moins « associé » suivant les circonstances.


Au-delà de ce mystère sur la définition à géométrie variable de la qualité d’associé, qui donc sera habilité pour apprécier si cette délibération est susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales ?


3. L’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés ayant pour objet la révocation du gérant et la nomination de co-gérants, en application de l’article 39 du décret du 3 Juillet 1978, si cette délibération est susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales


Dans son troisième dispositif, la chambre commerciale donne son avis sur le cas d’espèce.

Une personne titulaire de l’usufruit de droits sociaux d’une société civile peut-elle convoquer une assemblée générale à l’effet de révoquer un gérant et nommer des co-gérants ?


- Révocation d’un gérant


Aux termes de l’article 1851 du Code Civil :


Sauf disposition contraire des statuts le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts.


Sans ambiguïté aucune, seuls les « associés » sont habilités à révoquer un gérant.


- Nomination de co-gérants

Aux termes de l’article 1846 du Code Civil :


La société est gérée par une ou plusieurs personnes, associées ou non, nommées soit par les statuts, soit par un acte distinct, soit par une décision des associés.


Sans ambiguïté aucune, seuls les « associés » sont habilités à nommer le ou les gérants.


Par quel subterfuge notre usufruitier qui « ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé » pourrait-il donc s’insérer dans nos chers et vieux articles du Code Civil tels que les articles 1846 et 1851 ?


A bien chercher, d’autres articles de nos innombrables Codes pourraient être aussi accueillants pour notre usufruitier.


A ce jeu, la Doctrine et la jurisprudence ont de beaux jours devant elles.


La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation serait-elle tentée de réécrire notre Droit au gré des circonstances ?


A moins que la Cour de Cassation ne se découvre adepte du « …en même temps », un jour « associé » un autre jour simple jouisseur de droit.


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